
Non, le boxeur Christophe Dettinger n’avait pas de «gants plombés»
28 février 2019
Question posée par le 26/02/2019
Bonjour,
Votre question porte sur l’affirmation, largement relayée dans les médias, selon laquelle Christophe Dettinger, condamné le 13 février pour avoir frappé deux gendarmes le 5 janvier, était muni de gants «plombés» ou «coqués» au moment de l’agression. Une affirmation qui a beaucoup circulé dans les jours qui ont suivi l’agression, mais qui s’est pourtant révélée fausse. Retour sur le cheminement d’une intox.
L’ex-boxeur Christophe Dettinger a été condamné le 13 février à un an de prison ferme, aménageable en semi-liberté, et 18 mois de sursis avec mise à l’épreuve pour avoir frappé deux gendarmes le 5 janvier, lors de l’acte 8 des gilets jaunes.
Le procureur avait requis trois ans dont un de sursis avec mise à l’épreuve et demandé le maintien en détention du prévenu, pour un geste d’une «violence inouïe» contre deux gendarmes.
C’est à partir du 7 janvier, deux jours après les faits, et alors que le boxeur vient de se rendre à la police, que les médias commencent à relayer l’information selon laquelle le boxeur était équipé de gants particuliers. Un détail d’importance, qui change la nature des faits (pour la justice, il s’agit d’armes) et qui a contribué à contrebalancer l’héroïsation du boxeur dans les groupes de gilets jaunes, et a instillé l’idée d’une possible préméditation de l’agression.
Une fausse info qui provient de France Inter et France 2, avant d’être largement reprise
Une reconstitution de la circulation de l’intox permet de voir qu’elle part de deux médias (France Inter, et France 2), avant d’être reprises – comme souvent – par d’autres, sans vérification.
C’est France Inter, le 7 janvier à 12h20, qui donne en premier la fausse information, affirmant que les gants ont été retrouvés au domicile de l’ex-boxeur, et qu’ils étaient coqués et lestés de plomb : «Christophe Dettinger a utilisé des gants coqués, lestés de plomb, des gants retrouvés à son domicile. Ce sont des gants de motards, mais cela pourrait aussi signifier que l’ancien boxeur professionnel a prémédité son acte.»
Le JT de 13h de France 2 donne, avec moins de détails, la même info une grosse demi-heure plus tard. «Il est soupçonné d’avoir frappé avec des gants coqués au moins deux gendarmes», détaille un journaliste lors d’un duplex.

Sur les réseaux sociaux, l’intox sera largement reprise par les «anti-gilets jaunes.»
«Les gants sont sous scellés, ils ne sont ni coqués, ni plombés, ni renforcés»
«Toute cette histoire est complètement fausse, dit un des avocats du boxeur, Maître Vigier. Les gants ont été saisis et placés sous scellés : ils n’étaient ni coqués, ni plombés, ni renforcés. Cela ne figure d’ailleurs nulle part dans la procédure et cela n’a pas été évoqué à l’audience puisque ce n’est donc pas un sujet.»
De fait, d’après les informations de CheckNews, les gants ont été retrouvés dès le 6 janvier dans l’après-midi, lors de la perquisition du véhicule de Christophe Dettinger. Il est indiqué sur le PV qu’il s’agit d’une paire de «gants de couleur noire supportant des inscriptions blanches sur le dessus des gants». Une description conforme à ce qu’on voit sur les images. Il n’est fait, sur le PV, mention d’aucune particularité : ni gants «renforcés», ni «coqués», ni «plombés». Bref, dès le lendemain des faits, la police sait qu’il s’agissait de gants ordinaires.
Comment la fausse information s’est trouvée dans les médias?
Comment cette fausse information s’est trouvée dans les médias? Sur France Inter et France 2, la source n’a pas été précisée. En revanche, les articles publiés sur le sujet sur le site de Francetvinfo reprennent l’info de France 2, en affirmant qu’elle provient d’une «source policière.»
Contacté par Checknews, le journaliste de France 2 ayant livré l’info en direct lors du JT de 13h du 7 janvier explique qu’il n’a pas lui-même récolté l’info, celle-ci lui ayant été transmise par le service enquête de la rédaction, ce que confirme à CheckNews un des responsables du service, Olivier Carow : «l’info nous a été donnée par une source normalement fiable. On a décidé de la donner, avant de voir que France Inter avait aussi la même, probablement à partir de la même source. On s’est rendu compte, par la suite, que l’info était fausse».
Nous n’avons pas réussi, pour l’heure, à joindre l’auteur de l’article sur France Inter.
CheckNews a aussi contacté Christophe Rouget, secrétaire général adjoint du syndicat des Cadres de la Sécurité intérieure (SCSI), qui a relayé l’information. Il explique l’avoir «vue sur France Inter, un média sérieux» et l’avoir répétée.
CheckNews a enfin tenté de contacter, Linda Kebbab, secrétaire nationale de SGP Police, qui a aussi diffusé la fausse information. En l’absence de réponse, impossible de savoir si elle a aussi rapporté les erreurs des journalistes, ou a été induite en erreur par des sources internes à la police. Son tweet sur le sujet a été posté le 7 janvier peu après 14h. Quelques dizaines de minutes donc après que France Inter et France 2 ont propagé l’intox.
Tentative de manipulation, ou source mal informée?
Y a-t-il eu, dans la guerre de communication autour des gilets jaunes, une volonté d’ «enfumage» de la police pour contrebalancer le récit héroïque qui émerge alors dans une partie de l’opinion autour de Dettinger, «le boxeur gilet jaune», «l’homme qui a fait reculer à mains nues un cordon de gendarmes»? Ou s’agit-il plus prosaïquement d’une source mal informée?
Ce qui est sûr, c’est qu’au moment où la source communique la fausse information aux journalistes de France 2 et de France Inter, le 7 janvier, les gants ont été retrouvés (ils l’ont donc été la veille), et les enquêteurs savent donc qu’il ne s’agit que de gants ordinaires.
Olivier Carow ne croit pourtant pas à une manipulation: «Je suis peut-être naïf mais je n’y crois pas. Je pense que certaines sources parlent peut-être un peu vite. La circulation de l’info s’accélère partout, et cela a des conséquences. Cela doit nous inviter à être plus vigilant pour la suite».
Il n’y a pas eu de rectificatif à l’antenne de France 2. «On fait des rectifs quand cela a des vraies conséquences, ou bien sûr quand l’intéressé ou ses avocats nous demandent de le faire. Cela n’a pas été le cas», explique Olivier Carow. À notre connaissance, il n’y a pas eu davantage de correctif sur France Inter, ni aucun des médias ayant relayé la fausse information.
Cordialement